Pour Elias Launay, que j’embrasse

   « Tout ce qui est et n’est pas par soi est par un autre », disait Aristote.  La science connaît par les causes et les effets de ces causes. En se penchant sur la structure de l’univers Aristote aboutit à la compréhension d’un système qui place la Terre au centre du cosmos, lequel se présente comme l’assemblage de deux mondes distincts selon leur position par rapport à la lune : un monde supra lunaire, doté d’un mouvement parfait et éternel, et un monde sublunaire.

Il faut remonter au début du IIe millénaire BC, à Babylone, pour découvrir, avec une précision remarquable, les mouvements du soleil, de la lune et des planètes connues. Plus tard, c’est avec la conquête de l’empire perse par Alexandre le Grand que l’astronomie babylonienne connaît son apogée. Les savants de cette époque expérimentent le mouvement diurne et annuel du soleil grâce à un système ingénieux dont on déduit avec certitude que le soleil se déplace par rapport à la terre, considérée comme immobile et stable, ronde, ou presque. La cosmogonie d’Aristote explique les corps célestes, les météores et les comètes, comme des corps physiques. Les nuages, la pluie et tous les phénomènes observés sont tangibles et s’intègrent dans cet ensemble qu’Aristote désignait de « sublunaire ». C’est dans la sphère des étoiles qu’il veut placer son « premier moteur » en arrière-plan duquel il suppose un « moteur mobile » auquel il attribue le rôle de diriger le tout.

Dans ce monde sublunaire, les formes vivantes retiennent plus particulièrement l'attention de notre philosophe. Les êtres se génèrent, se corrompent, et passent d’un état à un autre. C’est le monde du changement et du périssable, tandis que le monde supra-lunaire apparaît immuable. Ainsi voit-il les astres, imputrescibles, d’une autre essence que le monde sublunaire, où n’évoluent ni la terre, ni l’eau, ni l’air, ni le feu, présidant à l’organisation du cosmos selon les anciens Sages Grecs. Le monde supra-lunaire serait d’une cinquième essence, d’une Quinte essence, qu’Aristote appelle l’ éther. S’appuyant sur les travaux d’astronomes contemporains, Aristote enchâsse les astres dans des sphères. C’est au centre d’une cinquantaine de sphères concentriques, animées d’un mouvement circulaire, régulier, que se place la sphère terrestre. Il conçoit alors un univers géocentrique, hiérarchisé, dont la vision est établie pour longtemps. Cette vision du monde, enjolivée au XIIIe siècle, perdurera jusqu’au XVIIe siècle.

Que peut-on dire d’un monde soumis à la corruption et à la contingence ? Le monde sublunaire est comme ceci, mais il pourrait bien être autrement. Mieux (ou pire, selon l'humeur) : il pourrait ne pas être du tout. Le monde sublunaire est soumis aux caprices du hasard. Tout y est en perpétuel changement. Mais si un être change cela ne signifie pas qu’il devient un autre être. Pierre reste Pierre. Il y a une certaine permanence de l’être, seul capable, par exemple, de conserver le souvenir de ses propres sensations. Il n’y a pas nécessité du passage à l’acte, c’est seulement une possibilité du sujet. Tel est la grande originalité de la philosophie d’Aristote par rapport à ses prédécesseurs. Tout ce qui n’est pas, n’est pas. Mais tout ce qui est, est en puissance de devenir ce qui sera en acte.

La vision astrale d’Aristote fait un constat : « Il n’est pas douteux que si le divin est présent quelque part, c’est dans cette nature immobile et séparée qu’il est présent. » Sa philosophie déduit que le monde sublunaire, le nôtre, est entraîné par un premier moteur nécessaire. Mais un moteur n’effectue sa tâche qu’en conséquence d’une énergie, de quelque chose qui le meut, qui est aussi moteur. Jusqu’où remonter dans la série des causes motrices ?

 

Gérard Leroy, le 17 septembre 2023