Pour Suzanne Zahredine, en hommage amical

   De quelque jumelle que l’on regarde le monde occidental, nous observons un net recul des idéologies naguère mobilisatrices d’énergies, une sécularisation galopante, une laïcisation de nos sociétés, une forme d’individualisme relativiste. Cette profonde mutation récente due aux progrès fulgurants de la science, a d’autre part fait passer la raison de la soumission au réel à la responsabilité solidaire de son histoire.

Le paradoxe, c’est que cette prise de conscience collective s’accompagne dans le même temps d’un aveuglement, qui en vient à affirmer des préjugés sans souci de vérification de la vérité. C’est en vertu de ce « vérisme » qui ne doute pas, que se développe le complotisme, le révisionnisme, les fake-news.   

Le risque majeur si on laisse faire, selon moi, est de réduire l’homme au statut d’objet, d’éliminer en conséquence son contenu spirituel et humain, reléguant dans les marges de la société la relation interpersonnelle, le rapport à autrui, et toutes choses qui introduisent d’emblée dans la région du sens.

Il y a, toujours selon moi, urgence pour chacun à se pencher non pas sur l’éthique dans sa nature, mais sur son éthique propre dans son application. Autrement dit : vers quel comportement social je suis porté à adopter ma foi en Jésus-Christ ? Cette question se pose face aux graves défis du présent posés par l’inédit des problèmes. Cette démarche éthique donne le coup d’envoi à mon procès d’humanisation. Qu’ai-je fait de mon frère ?  

La question amorce le concept de responsabilité qui engage la libre assomption par chacun de son action, de sa parole, de son attitude et de ses conséquences. L’humanité de l’autre homme me regarde parce qu’elle est la mienne. La responsabilité donne alors sens à la démarche éthique.

En sa spécificité chrétienne, l’éthique renvoie à une transcendance à laquelle nous donnons un nom que nous tenons de la Révélation. De sorte que notre adhésion à l’Évangile anime notre charité et inspire nos réponses à donner dans le concret des situations inédites. Nous sommes appelés, par la pâque du Christ, à tendre la main à l’autre. Qu’il soit Crésus ou bien Job, malade ou soignant, la charité engage la responsabilité de chacun pour chacun. Elle est sans frontières et se porte d’abord vers l’urgence. Elle est don de Dieu, à exploiter, elle vise l’autre pour lui-même et se rapporte à cet autre au lieu de se rapporter à soi-même.

On aura compris mon invitation à réfléchir, en chrétien, à la permanence de la question éthique, réveillée par la situation sanitaire actuelle vis à vis de laquelle des troupeaux, parfois même des chrétiens, s’en vont suivre tous les Panurge démagogues irréfléchis.

 

Gérard Leroy, le 18 février 2022