Pour Jean-Claude Dreyfus, Gabriel Setruk, Pierre Guigi, Christophe Lévy, en hommage amical
Il y a maintenant 3336 années, en l’An 2492 de l'histoire des hommes selon le calendrier de la tradition hébraïque, le peuple d’Israël se libérait de l'exode en Égypte. Cette date institue la foi biblique bien avant d’instaurer la Nation Israël.
La conscience humaine de l’Hébreu s’apprête alors à vivre une mutation spirituelle radicale. Se reconnaissant comme créature, recevant l’être et sa libération par la grâce d’un créateur, ce peuple sait qu'une volonté libre dirige le monde des hommes à travers et en dépit de tous leurs asservissements, subis ou consentis, comme de toutes leurs aliénations, provoquées ou imposées.
Le monothéisme ne se ramène pas à un déisme conceptuel qui associe Dieu à un grand horloger du cosmos. La conscience hébraïque reconnaît que l'histoire humaine a un sens, une signification et une direction. Ce sens est moral. Il oriente vers la Justice. C'est à la conscience morale comme voie du salut que s’adresse le Dieu des Hébreux. C'est pourquoi la révélation à Abraham identifiait absolument la promesse des bénédictions et l'enseignement de la sainteté morale. Abraham avait rompu avec la religion naturelle païenne où l'homme consent à l’asservissement aux forces naturelles érigées en divinités. C’est le début de la reconnaissance que le monde ne se réduit pas à l'ensemble des phénomènes cosmiques, astronomiques, physiques, biologiques, psychique, sociaux, ou politiques.
Fondateur de la tradition hébraïque à qui Moïse révélera plus tard la loi de Dieu lui-même, Abraham a donné à l'histoire des hommes une nation de prophètes, préparée dans le dur creuset de l'exil du monde à l'écoute du Dieu de vérité, l’Unique créateur garant des lois qui régissent l’univers, mais exigeant l’accomplissement de la loi morale. Les Hébreux le nomment LUI, dans l’incapacité de dire ce que « Il est ».
Le Livre de la Genèse éclaire le viatique de l’espérance dans l'histoire des hommes. « Ta postérité sera bénédiction pour toutes les familles de la terre genèse » (Gn 12, 3).
À travers les temps, les époques, les civilisations, c'est dans l'espérance d’Israël que sera entraînée toute espérance. Nul ne l’ignore aujourd'hui, malgré tant d’épreuves et d’ingratitudes successives, Abraham a inauguré la difficile histoire d'une nation témoin de l'espérance au nom de la foi en la justice. « Sache que ta postérité sera étrangère en un pays qui n'est pas le leur ; on les opprimera, on les persécutera. Mais moi je jugerai la nation qui les aura asservis et après (…) ils sortiront enrichis de grandes valeurs. » (Gn 15, 13). Ce prototype de la Préhistoire d’Israël fut directement celui de l'Exode en Égypte, et celui de bien des exils.
La sortie d'Égypte concerne notre propre histoire. La mémoire d'Israël garde le souvenir de sinistres préfigurations que revisite Élie Wiesel dans La nuit. L’histoire a choisi la sortie de Égypte comme point de départ des commémorations liturgiques, car c’est là que la promesse à Abraham s’accomplit, dans l'histoire évènementielle des sociétés humaines.
Le sens de l'histoire se dévoile à nouveau avec Moïse. Car le projet d’Abraham n'était pas d’instituer une pure confession religieuse —épiphénomène de civilisation— mais d’engendrer une nation prophétique. À cet évènement la Bible a donné le nom de passage, Pessah, en araméen pas’ha, en français « Pâque ».
Israël vit à nouveau la Pâque de son histoire dans ce dernier exil à Babylone. Rescapés, sauvés par espérance, advient le temps des Fils et de l'accomplissement dans la libération de l’Exil en 537 BC selon la prophétie de Jérémie : « Et les fils reviendront à leurs frontières » (Jer 21, 16).
Gérard Leroy, le 24 janvier 2025