Pour Patrick Lajus, en hommage amical
Au seuil des années 1960, un peu à l’écart des structures paroissiales, un clergé, peu nombreux, qui se présente aux yeux de beaucoup comme marginal, tente de rétablir une présence d’Église dans des régions de plus en plus déchristianisées. On ne les rencontre pas auprès de ceux qui, depuis longtemps, assurent un enseignement scolaire dans des établissements à caractère confessionnel ; ces prêtres se démarquent en partageant, d’aussi près que leur sacerdoce le leur permet, les conditions de travail et les préoccupations des ouvriers.
On rencontre ainsi des Jésuites, des Dominicains, qui prennent leur part d’apostolat auprès des dockers de Marseille ou d’ailleurs, tel le Père Jacques Loew, qui quelques années plus tard sera, en 1970, appelé à prêcher la retraite de Carême au Vatican à l’appel de son ami Paul VI.
En cette seconde moitié du XXe siècle, des prêtres, des religieux, se font mineurs, dockers, métallurgistes, en vue d’insérer l’Église au cœur du travail humain. Ils proposent leur service salarié ici et là, dans les entreprises, découvrant alors que le travail marque celui qui l’effectue. C’est bien ce qu’a cherché Simone Weil, à la fin des années 1930, lorsque celle-ci a décidé de partager la condition de la classe ouvrière, à l'usine, chez Alsthom et Renault, avant de proposer ses services à Gustave Thibon, qui la refuse comme fille de ferme mais l’accepte comme ouvrière agricole.
L’opposition à cette initiative ne s’est pas faite attendre. D’une part, les patrons d’entreprises craignent cet apport de prêtres qui épousent les revendications de leurs ouvriers. D’autre part, ce sont les ecclésiastiques qui, s’étonnant de ce nouveau style de prêtres, craignent pour l’intégrité du sacerdoce.
Certains de ces prêtres-ouvriers ignorent totalement ce qu’est la classe ouvrière quand ils poussent la grille de l’entreprise. Ils méconnaissent encore plus et la pensée marxiste et ses applications sur le terrain. Ils ne possèdent donc sur le mouvement ouvrier que des notions sommaires, et doivent se retenir d’un jugement qui eut été hâtif à propos du prolétariat que bien des évêques connaissent mal.
À l’automne 1953, Rome enjoint aux prêtres ouvriers de suspendre l’expérience et en janvier 1954 de quitter leur travail. Cette mise en demeure posa aux prêtres ouvriers un cas de conscience douloureux. Cet arrêt soudain eut un retentissement considérable sur une opinion d’ordinaire peu touchée par les questions religieuses. Mais la grande presse relevait le gant, dans un sens comme dans l’autre, soutenue ou combattue, selon les éditoriaux, par les commandos ecclésiastiques, les “parachutistes de l’Église”, à l’heure où les paras passaient pour des héros. L’Église allait-elle se désintéresser de la classe ouvrière, l’abandonner à sa misère spirituelle et/ou matérielle, et empêcher qu’une vie chrétienne puisse être envisagée en même temps qu’une fonction ouvrière ?
Non. La Mission de France allait naître, après avoir erré entre Limoges et Lisieux, elle se fixa à Pontigny, dans l’Yonne, et reçut l’agrément de Rome accompagné d’un statut canonique.
L’Église commença à s’ouvrir. D’autres missions, attachées aux diocèses de Paris et de Lyon, mirent au point des formes d’évangélisation solidement attachées aux institutions de l’Église. Ainsi l’évangélisation ouvrière se généralisa ; la hiérarchie comprit sa responsabilité. Les semences de l’idée de mission donnaient leurs premiers fruits.
Gérard LEROY, le 9 décembre 2016