La théologie n'est plus en face d'une philosophie unique. Elle est confrontée à une sorte de "monstre à plusieurs têtes, dont chacune parle une langue différente" (A. Shopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, T 1, § 17). 

C'est encore bien plus le cas aujourd'hui, avec l'avènement de nouvelles méthodes d'investigation (dans l’anthropologie, la linguistique structurale, l’herméneutique...) qui barrent à jamais l'accès d'une discipline au trône de science reine qu’elle a longtemps occupé, et qui prouvent que le monde est ouvert à une multitude d'interprétations dont aucune ne peut prétendre en rendre compte absolument. Aucune n'a le privilège d'être totalisante. Nietzsche avait bien raison de dénoncer "la ridicule prétention de décréter que notre petit coin est le seul d'où l'on ait le droit d'avoir une perspective". La modestie est la condition de toute science et de tout dialogue.

La théologie est donc engagée à se maintenir plurielle. En maintenant sa double fonction, critique et instauratrice.

Elle est critique en restant vigilante aux atteintes à la dignité de l'homme dans toute réflexion humaine. Et ceci parce que Dieu a donné un prix infini à l'homme.

Elle est instauratrice en cultivant un kérygme en phase avec l'entendement du monde auquel elle s'adresse. Il s'agit de repérer dans le discours théologique, pour le biffer, tout accent qui cadenasse l'ouverture possible de l'homme sur Dieu. Gabriel Marcel  invitait la théologie à opérer le "décollement décisif" en donnant à Dieu son vrai nom en Jésus-Christ.

Somme toute, la théologie vit de cette tension avec la philosophie que Maurice Pradines  compare avec les deux bras de la croix. D'accord avec Marcel Neusch, "l'authenticité de la théologie relèvera moins à l'avenir des réponses qu'elle pourra donner que des questions qu'elle sera capable d'assumer". 

À l'instar de toute recherche, son destin ne peut jamais être sûr.

 

Gérard LEROY, le 18 août 2016