Pour Patrick Valdrini, avec mon amicale gratitude

   Thomas, que présente l’évangile de Jean, ressemble au frère que j’aurais pu avoir, un frère « jumeau » qui, comme moi, arrive en retard sur l’événement, un Événement qui surpasse tous les événements (1).

Les apôtres se sont calfeutrés après la Résurrection. On n’attendait plus Thomas. Le Ressuscité se montre à tous ceux-là. Thomas manque à l’appel. Combien d’entre les vivants manquent à l’appel ? Combien courent encore après des preuves, des raisons de croire ?… Nous voudrions voir, savoir, comprendre… toucher. C’est d’ailleurs une expérience que nous connaissons avec le covid quand la distance règlementaire est difficile à tenir. Nous sommes plus assurés d’exister quand nous touchons, quand nous étreignons un être aimé. Ce temps de confinement, de distance sociale qui nous prive, pourrait bien exacerber nos désirs dès que la privation sera décadenassée.

Nous sommes certes des êtres de relations. « La relation est une forme originelle de l’être au même titre que la substance » écritait Joseph Ratzinger. Nous éprouvons le désir profond de voir, de toucher, de traverser des manques qui peuvent être féconds. C’est cela l’annonce de Pâques : le tombeau vide devient le lieu d’une annonce…  Il arrive même qu’un deuil rétablisse une proximité au-delà de l’expérience connue, une présence plus intime qu’intime.

Notre monde contemporain formaté par la logique de causalité a besoin de preuves, positives, mathématiques, physiques pour rapatrier la foi dans le tiroir positiviste du savoir. « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » dit le Christ.

Le manque que nous éprouvons tous en ce temps ne propose-t-il pas d’être lieu d’une espérance, lieu où l’on décèle la promesse d’un avenir neuf ?

Demande-t-on à quelqu’un qui aime de le prouver ? Demande-t-on à quelqu’un qui croit de le prouver ? Dieu ne se prouve pas. Il s’éprouve. Comme à l’être aimé qui nous aime on fait confiance. L’adhésion n’est plus une question d’intelligence, de raisonnement, de dialectique..., mais de confiance.

Le monde observe une caractéristique des Français, celle d’être « méfiants » ou « défiants ». Comme Thomas, on n’est pas prêt à faire confiance, au Président, au gouvernement, à l’autre. Et si l’on s’interrogeait sur ce qui s’intercale entre la méfiance (a priori) et la confiance (a priori) et qui s’appelle la raison critique ? On ne se lance pas à corps perdu dans l’adhésion et l’obéissance à quelqu’un parce qu’on nous en a dit grand bien. Et je doute de l’authenticité de l’engagement de ceux qui emboîtent le pas d’un mouvement, d’un parti, d’un général,… ou derrière Dieu, son Fils et leur Esprit, sans ouvrir l’espace critique.   

La confiance est plus sûre d’elle après !

Ceci ne contredit pas l’injonction du Christ :  « Cesse d’être incrédule. » Le croyant, pour être vrai, à ses yeux et aux yeux du monde, a à se délester de ses sécurités, de sa quête de signes, pour entrer avec raison dans la confiance.

Il y a ceux qui croient savoir, et qui le font savoir, sur un ton péremptoire qui ne souffre pas la contestation… Il y a aussi ceux qui savent croire… et qui en rendent compte avec la compréhension compatissante des incrédules, qui ont bien des arguments pour justifier que l’objet du croire est invraisemblable. Sur quoi repose réellement notre foi ?  Est-ce sur le témoignage de disciples ?  L’évangile ne nous fournit pas des preuves. L’évangile raconte une histoire. Invraisemblable. C’est à l’invraisemblable que l’on croit. Il s’atteste dans notre vie. « Heureux ceux qui font confiance, sans preuve ».

Les croyants ont fait réellement l’expérience d’un tombeau vide, d’une absence féconde. Les chrétiens ne sont fidèles à leur singularité propre que pour autant ils font la preuve que loin d’appartenir à une religion impérialiste et inclusive, le christianisme se définit par la kénose du Dieu de Jésus-Christ et du Christ lui-même. L’expérience chrétienne est d’abord l’expérience de cette origine toujours manquante qu’est l’altérité même de Dieu, que vient nous rappeler pour nous relier à lui : l’Esprit

 

Gérard Leroy, le 10 juillet 2020

(1) cf. G. Leroy, L’Événement, Ed. L’Harmattan, 2019.