Pour Claude Aufaure, en hommage amical,

   Ézechiel est un prêtre érudit du Temple de Jérusalem. En 598 avant notre ère, Ézechiel est déporté à Babylone par les troupes de Nabuchodonosor II, avec l’élite sacerdotale, les hauts fonctionnaires et les artisans métallurgistes de Jérusalem. Le vrai noyau de la nation se déplace alors en Babylonie. C’est là qu’Ézéchiel apprendra la chute de Jérusalem une dizaine d’années plus tard.

Babylone est une mégalopole fastueuse, avec sa grande ziggurat (1) au bord du fleuve et ses cinquante sanctuaires. « Babylone, a écrit le prophète Jérémie, est une coupe d’or aux mains de Yahvé, elle enivrait la terre entière » (Jr 51, 7-8).

Ézechiel habite un village (Ez 3, 15). Les exilés viennent écouter cette voie nouvelle qui leur apprend qu’il est possible que le Dieu des Pères se manifeste en terre étrangère (8, 1ss ; 14, 1ss). Ce qu’avaient perçu Moïse et les anciens sur le Sinaï, ce qu’Isaïe a contemplé dans le sanctuaire, Ézechiel le voit en Babylonie. Dieu est avec nous, avec nous qui sommes aujourd’hui sur les bords du fleuve Kebar. « Yahvé-est-là » (48, 35b). Ézechiel annonce, la chose est nouvelle, que la présence efficace de Dieu est vraie en tous lieux.

Le 10 du mois de l’an 573, Ézéchiel a une vision. Il voit la Gloire revenir à Jérusalem, « avec un bruit semblable au bruit des grandes eaux » (Ez 43, 2). L’ange conduit le prophète à la montagne. Ézechiel a une vision du Temple tel qu’il sera, d’où jaillira une source, surabondante, près du sanctuaire, une eau qui s’en ira fertiliser la région, guérir les maladies, vitaliser ce qui est mort (47, 1-12).

Ézéchiel voit. Il voit un char à quatre roues dont la hauteur des jantes a de quoi effrayer, et qui porte des animaux fabuleux dont les ailes soutiennent un trône (1, 4-9 ss). Ces roues se propulsent vers les quatre points cardinaux (ch 1) ; ce que voit encore Ézéchiel ce sont des ossements desséchés revivifiés (cf 37), qui se revêtent peu à peu de chair. Le souffle vient les animer. Alors ils se lèvent. (37, 1-14).

Le char c’est le char de la Gloire. Il s’y trouve des vivants. Une fresque du Louvre les représente.

Le char emportant des vivants rejoint le prophète exilé à Babylone, loin du Temple où se situait l’habitat de la Gloire. La Gloire, la voici, en terre profane, dans le pays des païens, qui adorent Mardouk célébré par la déesse Ishtar (voir la splendide porte de son temple au Musée de Pergame, à Berlin). En décrivant la Gloire, qu’il voit, Ézechiel décrit Dieu comme un vivant qui descend dans l’expérience humaine. L’exégète Paul Beauchamp montre que la vie qui sort de Dieu c’est la vie même qui est à l’intérieur de Dieu, exprimée par le feu ou par le souffle (la ruah que l’on traduit par Esprit, pneuma en grec).

Cette vision féérique sera lue dans sa profondeur par Saint Jean qui rapportera que le Temple nouveau et le fleuve qui en sort, c’est le Corps du Sauveur, c’est lui qui est le Temple, le Vrai Temple (Jn 2, 21). De son côté blessé par la lance du soldat romain, sortent le sang et l’eau.

Ézechiel a aidé le judaïsme à se constituer, à se définir. Israël sortira en 537 de ce tombeau babylonien. Paul Beauchamp a bien vu en Ézéchiel le précurseur des apocalypses.

 

Gérard Leroy, le 7 août 2021

 

(1) Une ziggurat est une tour à étages faisant partie des édifices cultuels de la cité, et pouvant culminer du haut de ses sept étages jusqu’à 90 mètres. Le dernier étage supportait un petit temple qui, d’après les inscriptions de Nabuchodonosor, était revêtu de briques émaillées bleues. C’est là que le dieu était censé descendre. La tour, en sumérien « E-témen-an-ki », était considérée comme le centre du monde, « temple du fondement du ciel et de la terre ». On venait y vénérer les dieux proprement dynastiques, Mardouk en particulier, évoqué par l’inscription de Nabuchodonosor sur le temple : « J’établis à son sommet la haute demeure pour Mardouk, mon Seigneur. D’É-témen-an-ki je rehaussai la pointe avec des briques cuites d’émail bleu resplendissant.»

Cf. G. Leroy, art Babel, in Christianisme, Dictionnaire des temps, des figures et des lieux, s/s la dir. André Vauchez, Éditions du Seuil, 2010.