Pour Julien Rivière, avec mon amicale gratitude
« Il faut mettre fin à l'ensauvagement d'une partie de la société », a déclaré le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Ce qui a provoqué une polémique en ce que le vocable reprenait, pour l’attiser selon le Garde des Sceaux, « le sentiment d’insécurité » qu’éprouvent les Français. D’autant que l’on juge cette expression en référence aux discours des cadres du Rassemblement national (RN). Jugement hâtif et paresseux. Il conviendrait d’abord de regarder les chiffres pour vérifier qu’il y a ou non une explosion des violences, de la délinquance, liée, selon certains, à l'immigration.
De quoi « l’ensauvagement » est-il donc le nom ? Aimé Césaire a usé du terme, dans un Discours sur le colonialisme, dans les années 1950, et récemment Thérèse Delpech l'a repris dans un essai sur Le retour de la barbarie au XXIe siècle (Grasset).
Ce terme sert à désigner le phénomène sociologique qu’est la délinquance, violente, qu’Alain Bauer, rigoureusement, désigne du mot « criminalité ». Car en effet l’usage de ce vocable traduit « un évitement. En utilisant ce mot (d’ensauvagement), on tait la violence et la délinquance. Il déplace le sujet dans la sphère de l’imaginaire », explique la sémiologue Mariette Darrigrand. Pour d’autres, il y a dans cette expression une intensification du langage qui tend à masquer la complexité de la criminalité en France. À l'horizon, on perçoit l'animalité, la notion de « sous-homme » qui se rattache à ceux que l’on considère « sauvages ». Tentons de creuser la notion qui se trouve en amont de l’explication de la sauvagerie, et donc de l’ « ensauvagement ».
Si le terme « ensauvagement » s’articule autour de sa racine, c’est en opposant le mot « sauvage » à son antinomie la « dignité humaine », qu’on s’approchera mieux de la définition à donner à l’ ensauvagement. Serait sauvage celui qui ne serait pas digne d’être considéré comme humain.
Mais qu’est-ce que la dignité ? Qu’est-ce qui la fonde ? La dignité relève-t-elle d’un ordre ontologique, constitutif et inaliénable de la personne (perspective kantienne) ou au contraire relève-t-elle d’une appréciation subjective, affective, labile, voire éphémère.
Si en moi et dans les autres je respecte l’humanité elle-même, si j’adhère à une loi qui m’oblige, la dignité est alors fondée par le devoir du respect d’autrui autant que de soi-même. Pour le non croyant, la dignité consiste à être, agir ou se comporter au plus près de ce que la société humaine attend de lui, respectant le "minimum syndical" en-deçà duquel il serait considéré comme indigne. Pour le croyant la dignité consiste à être et agir au plus près de ce que Dieu attend de lui. i.e., dans l'un et l'autre cas la dignité se fonde à l’aune d’une référence.
Ceci posé, les croyants en Dieu n’étant pas tous de la même confession, ceux qui, musulmans, posent la dignité en référence à Dieu seront d’autant plus dignes en se soumettant à Dieu qu’en respectant les règles, non seulement de la République, mais les Droits de l’Homme, qu’ils tolèrent à condition de les subordonner aux droits de Dieu.
Si le monde sécularisé considère comme des « sauvages » ceux qui, au nom de leur religion, pillent, violent et massacrent, il est à son tour considéré par les fanatiques religieux comme sauvage, parce que précisément les sécularisés ont évacué Dieu de leur vie.
Conclusion : la dignité ne repose pas partout sur les mêmes critères. Et si, ensemble, nous y réfléchissions ? En commençant par se demander si le Dieu d’un tel et celui de tel autre n’avaient pas en commun, sinon d’aimer l’homme, d’en respecter la vie dont il est reconnu par tous comme l’auteur ?
Gérard Leroy, le 11 septembre 2020