Pour Christine et Gérard Moulin, en hommage amical

   Dans les cultes anciens oubliés, ou même dans certains pratiques de la société permissive, ce qui remplit la case du banquet c’est l’orgie sacrée, le déferlement dyonisiaque où l’orgasme est l’extase divine. La communion au Christ n’est pas orgie. Lacan notait que l’Église, épouse aimante, ne copule pas avec son divin amant (Séminaire XX).

L’eucharistie est d’abord un viatique, pour moi au présent, et tel que je suis, y compris corps et organes – corps organique. Le « Ceci est mon corps » n’est pas une simple métaphore. Ce n’est en tout cas pas en ce sens que l’ont pris les premiers Pères de l’Église. Si notre langue n’est certes pas rougie par le sang de la chair en communiant avec le corps du Christ comme a pu le suggérer Jean Chrysostome, le corps du Christ que nous mangeons reste cependant « véritablement corps », dans la mesure où il conserve l’intégrité de ce que l’homme Christ a vécu en tant que corps.

D’où la légitimité et l’importance des questions anciennes, comme celles de savoir si l’on peut croquer ou mâcher ce corps, le digérer ou pratiquer un jeûne préalable. De tels scrupules peuvent certes faire sourire aujourd’hui, mais il en va, ou il en allait, du statut de ce que l’on mange.

Les végétariens, par exemple, parce qu’il s’abstiennent de manger de la viande sont enclins à croire en effet à la parenté de tous les vivants et à la transmigration des hommes, redoutant alors de porter une dent sacrilège sur un ancêtre incarné dans le rôti !

L’Eucharistie est certes d’abord un repas partagé. La ligne du symbolisme déployant tout ce qu’il y a de relationnel dans l’acte eucharistique demeure donc essentielle. Mais à force de parler de « symbolisme » et de « repas partagé », on en est venu à oublier ce qu’il en était de la « présence réelle », de la consistance de cela qui se donnait à manger : non pas de la viande, certes, mais tout ce qui fait notre humanité dès ici-bas à la fois assumée et transformée en Dieu.

 

Gérard Leroy, le 29 juin 2023