Pour Maryllne Lugosi, en hommage amical

   La croyance à la résurrection était peu répandue au temps de Jésus, ses disciples ne comprenaient d’ailleurs pas ce que Jésus voulait dire quand il annonçait qu’il ressusciterait après avoir été mis à mort (Mc 9,32). Si la croyance en la Résurrection est apparue tardivement en Israël, elle n’a pas surgi de rien. On avait en mémoire ce qu’avaient annoncé les prophètes à propos des menaces de la colère de Dieu contre les tyrans, les oppresseurs et malfaisants de tout poil. Aussi attendait-on de Dieu qu’il réalise sa promesse d’instaurer son règne sur la terre, un règne de justice et de paix. On ne comprenait pas pourquoi des justes, tel le saint homme Job, étaient accablés de malheurs, tandis que les méchants prospéraient, et comment pouvait-il se faire que le Dieu très juste, très bon et très puissant tolérait cette situation. 

Ces plaintes adressées à la justice de Dieu le provoquaient à intervenir au plus vite. L’attente impatiente de la venue de son royaume faisait naître l’espérance que ceux qui étaient morts avant que justice leur ait été rendue y trouveraient place. Ainsi s’exprimera, un siècle environ avant la venue de Jésus, la foi dans la résurrection des martyrs d’Israël mis à mort à cause de leur attachement à la Loi (2 Mac 7,14) : cette foi n’est pas née de la convoitise d’un bonheur immortel, ni de la peur de la mort, mais d’un appel à la justice de Dieu pour qu’elle mette fin aux injustices des hommes et procure réparation aux victimes. Elle est liée à l’intelligibilité d’un Dieu qui fait alliance avec les hommes.

Jésus relance l’appel des prophètes et des sages à la justice de Dieu : Heureux ceux qui pleurent sous les coups des malheurs et des injustices, car ils seront consolés dans le royaume des cieux. Dieu n’est plus interpellé pour tirer vengeance des méchants, et Jésus compte sur la miséricorde pour désarmer la violence ; l’accès au royaume n’est plus conditionné par des obligations à remplir envers Dieu, il suffit de vivre en paix les uns avec les autres pour devenir ses fils ; le royaume n’est pas promis à titre de récompense, mais plutôt comme don d’amour. Dieu fait don de lui-même et de son royaume ; 

En Jésus Dieu conclut une nouvelle alliance avec tous les hommes ; sans rien réclamer pour lui, il institue un ordre de relations tel que chacun renonce à dominer les autres, mais accepte de prendre la défense des opprimés et de souffrir pour eux ; et il offre son royaume en contrepartie de cet ordre nouveau. La résurrection est le salut de l’histoire : le pacte qui convertit une histoire désordonnée de violences et de drames en histoire dont le sens est l’amour et le pardon.

La résurrection c’est l’invitation à se tenir éveillés, dans l’accomplissement de nos tâches d’hommes, pour être prêts à passer à la table du royaume où le Père nous attend pour servir le repas (Luc 12,37). La résurrection accompagne Jésus partout où il va, consolant et soulageant toutes souffrances : ses guérisons portent la promesse d’un monde régénéré par la grâce de la compassion et rendu capable de se libérer même de la mort, si chacun accepte de porter la souffrance de l’autre. Le signe en est encore donné quand il préfère la table des « pécheurs » à celle des « purs », pour signifier que le royaume du Père est ouvert à tous, à la seule condition de ne pas faire de torts à autrui ou de les réparer avec surabondance, à la seule exception de ceux qui dissimulent leurs injustices envers le prochain sous le manteau de la justice due à Dieu. 

Jésus savait qu’il n’échapperait pas aux persécutions qu’avaient subies les prophètes, Dieu lui rend témoignage en l’arrachant à la mort pour le faire renaître de sa propre vie.

Jésus ayant assumé la souffrance de tous les vaincus de l’histoire, toute l’histoire humaine est pareillement assumée dans sa résurrection. Dieu se révèle en elle sous la face de son humanité, comme s’il sacrifiait sa puissance à la cause des hommes. La résurrection est entrée dans l’histoire, comme une force qui rend les hommes aptes désormais à construire leur propre histoire.

 

Gérard LEROY, le 26 août 2016