Tertullien (v. 155-212). L’apologiste, le polémiste

Pour Lætitia Meyzin, en hommage amical

Dans toute l’Afrique, le plus important des auteurs occidentaux avant saint Augustin, c’est Tertullien. La lutte contre les hérésies gnostiques est reprise tout au début du IIIe siècle par cet auteur ecclésiastique.

 Tertullien est né à Carthage. Il est le fils d’un centurion romain. Il reçoit une solide éducation, il étudie le droit et, comme tout fils de bonne famille, la rhétorique, ce qui lui permet d’embrasser plus tard la profession d’avocat pendant un séjour à Rome, avant de revenir en Afrique. Comme plus tard Augustin, Tertullien traversa une jeunesse mouvementée avant d’adhérer à la morale chrétienne, de s’intéresser à cette religion et pour finir la rejoindre. Il se convertit au christianisme vers 193 et se lance dans le travail théologique, dit-on, “avec le caractère bouillonnant des Carthaginois et le sens pratique des Romains”. On lui trouve du génie, mais aussi un tempérament fougueux. Son impétuosité et son intransigeance le pousseront à rompre avec l’Église, en 207, pour s’orienter vers le montanisme  (1).

 

 Tertullien connaît le grec. Il sera un des tout premiers écrivains à écrire des œuvres théologiques en latin, langue qu’il maîtrise parfaitement et à laquelle il aurait ajouté 982 mots nouveaux !

 

Tertullien connaît fort bien l’œuvre d’Irénée qu’il cite abondamment dans son traité contre ces gnostiques Valentiniens. L’adversaire favori de Tertullien est le gnostique Marcion, contre lequel il a écrit vers 210-212 son Traité “De la chair du Christ”, relatif au rejet de l’Ancien Testament par les gnostiques qui n’y voient que la Révélation du Dieu créateur cruel et vindicatif. 

 

Tertullien réfute le docétisme (mouvement gnostique qui refuse que le Christ ait pris chair et prétend que la crucifixion est une illusion) de Marcion, d’Apelle, de Valentin. Il oppose, en termes crus, l’attitude païenne qui méprise la chair et l’attitude chrétienne qui pressent en elle un mystère sacré :

 

“Si donc tu ne peux pas rejeter la venue de Dieu dans un corps, soit comme lui étant impossible, soit comme dangereuse pour lui, il te reste à la répudier et à l’incriminer comme indigne de lui. En commençant par cette naissance jugée détestable, allons, expose l’ordure des éléments qui servent à la génération dans le sein, humeur et sang, et cette repoussante coagulation de la chair qui doit se nourrir de cette même fange pendant neuf mois.

[...] Tu as aussi horreur de cet enfant jeté-là, plein d’entraves; même lavé, bien arrangé dans ces langes, frictionné, taquiné par des caresses, il excite ton dédain. Tu craches, Marcion, sur ce caractère vénérable de la nature. Mais toi, comment es-tu né ? Certes, tu ne t’es pas aimé toi-même, quand tu t’es séparé de l’Église et de la foi du Christ. Mais à toi de voir si tu te déplais à toi même, ou si tu es né autrement.

En tout cas, le Christ l’a aimé cet homme formé dans le sein et coagulé dans l’ordure, mis au jour à travers les parties honteuses et nourri de façon ridicule. C’est pour lui qu’il est descendu, pour lui qu’il a prêché, pour lui qu’il s’est abaissé en toute humilité jusqu’à la mort et à la mort sur la croix. Il l’a aimé, à la vérité, celui qu’il a racheté si cher. S’il est le Christ du créateur, il a eu raison d’aimer ce qui était sien; s’il est venu d’un autre dieu, il a aimé plus encore, puisqu’il a racheté un étranger. En aimant l’homme, il a donc aimé aussi sa naissance, et aussi sa chair. Car rien ne peut être aimé sans que soit aimé ce qui le fait être ce qu’il est” (2).

 

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