Pour Marie et Edwige… Bernard, Jean.
Il y a un avant et un après Céline. Celui-ci ne se distingue pas tant par sa narration à la première personne, des romanciers contemporains l’ont précédé, le premier de la liste étant sans doute saint Augustin. Mais restituer dans la langue écrite l’émotion de l’oralité, cela relève du génie. Selon Philippe Sollers, le seul témoignage réel sur la seconde guerre mondiale, qui a ressenti la guerre sous les bombes, Berlin en ruines, Hambourg en feu, c’est lui (cf D’un château l’autre, Rigodon). Le voyage au bout de la nuit apprend sur la façon dont on devient fanatique de la paix.
À Londres Céline arrive blessé, en 1915 (1). La Tamise charrie ses glaçons. « La Tamise c’est beau. Surtout la nuit, c’est le monde qui coule, sous les ponts qui se lèvent comme des bras pour qu’elle passe. »
Céline y retrouve un petite bande de proxénètes français et leur cortège de filles de joie, esclaves de leurs maquereaux. Dont Angèle. Ses lèvres un peu grosses donnaient du relief au pâle de ses joues, « un vrai poids en plus de tendresse et de grâce, de sang offert, de carmin prêt à éclater, qu’on morde. » Céline en est amoureux. « Je voulais rentrer dans toute sa vie, écrit-il, jusque là où c’est l’origine de tout, où plus rien existe, plus la guerre, plus la peur de la guerre, plus l’oreille, plus les parents, plus Londres, plus rien que la joie, de tout vivre. »
Il traîne ses guêtres dans les bas-fonds interlopes où grenouillent des gens abîmés, éclopés, des qui boitent, des qui tousse, des traîne-misère, toute une humanité de loquedus qui envoient des filles sur le trottoir.